Le mystère des grands vins
Bon nombre de grands vins historiques européens se trouvent à des endroits où les vignes ne bénéficient pas de conditions optimales. Humidité excessive et faible ensoleillement à Bordeaux et en Bourgogne, substrat peu favorable à Jerez, aux Canaries et à Catane, stress hydrique et températures extrêmes à Toro, pentes abruptes et caillouteuses pour les vins de haute altitude, etc.
D'autre part, les régions biologiquement optimales, avec un sol parfait, du soleil, de l'eau et des températures maîtrisables, comme la Guadiana, la Mancha ou les plaines du sud de l'Italie, qui produisent de bons vins, n'ont commencé à s'efforcer de produire de "grands vins" que relativement récemment. Et comme le chemin a été celui de l'innovation progressive, il leur reste encore un long chemin à parcourir.
Le vin est un exemple parmi d'autres. On observe le même phénomène dans mille domaines différents et c’en est surprenant : l'excellence est-elle plus accessible à ceux qui, en principe, la trouvent plus difficile ?
En réalité, oui. Et les raisons en sont enracinées dans la nature même de notre espèce : compétitive, coopérative et surtout orientée vers la survie par la résolution durable de problèmes collectifs.
La Nature du bonheur... et l'engagement
L'anthropologue Desmond Morris a défini le bonheur comme l'état de plaisir que nous ressentons lorsque quelque chose s'améliore soudainement. En d'autres termes, c'est le résultat d'un comportement réussi axé sur un objectif. Qu'il s'agisse d'un objectif personnel - reconnaissance et appartenance -, d'un objectif compétitif ou d'un objectif coopératif.
C'est ce dernier type - objectif coopératif - qui produirait le plus d'engagement et d'esprit communautaire. Ce n'est rien d'autre que la fierté que procure l'effort de résoudre durablement les problèmes de la communauté dans laquelle elle s'insère. Une définition qui s'inscrit parfaitement dans le modèle de comportement orienté vers un but de la psychologie adlérienne, dont on ne se lassera pas de rappeler l'utilité pour tout environnement communautaire.
Amélioration progressive ou gestion par défis ?
Les trois coopératives de travail associé qui, ces derniers mois, sont devenues le point de mire et le phare du mouvement contre la désindustrialisation en Europe (GKL en Italie, Duralex et Bergère de France en France) ont un point commun : l'effort d'organisation a transformé les travailleurs grâce à l'engagement collectif.
La force motrice était le sentiment et la conviction qu'ils apportaient une véritable contribution, une solution durable pour les familles liées à l'entreprise dans laquelle ils ont travaillé toute leur vie et une nouvelle option pour la communauté plus large de la région, du pays et du continent. Nous voyons clairement Morris et les Adleriens dans l'histoire du directeur commercial de Bergère de France:
Nous avons observé trois types de réactions. Il y avait ceux qui adhéraient immédiatement au projet, ceux qui restaient en retrait par prudence, et enfin, ceux qui ont fini par rejoindre l’aventure une fois qu’ils ont vu que cela fonctionnait. Ce qui m’a le plus touché, c’est la motivation de certains salariés, notamment ceux proches de la retraite, qui ont choisi de rester pour participer à ce renouveau. Certains m’ont dit : “Il me reste un an avant la retraite, mais je veux continuer à être de la partie.” Ce genre de discours montre à quel point les employés sont attachés à cette entreprise.
Comment cette énergie et cette capacité de transformation peuvent-elles persister dans la nouvelle phase?
- Maintenir le moteur du bonheur en marche et bien huilé. C'est-à-dire travailler par défis, en ayant une stratégie claire orientée par des défis suffisamment clairs et difficiles pour laisser la place à l'extraordinaire, à l'excellent.
- Nous ne faisons pas référence au type d'objectifs qui émergent d'un système de contrôle de la qualité. Rien n'étouffe plus le moteur de l'enthousiasme et de l'engagement que la logique de l'amélioration instrumentale et de l'innovation. Il ne s'agit pas de travailler à déplacer des décimales sur un tableau de bord, mais de transformer des processus pour changer des résultats fondamentaux. Nous parlons de défis qui peuvent être exprimés comme des contributions collectives décisives et durables qui bénéficient à l'environnement: réduire la consommation de matières premières pour économiser des coûts et réduire l'impact écologique, transformer la chaîne d'approvisionnement pour qu'elle ait une signification en soi, créer un nouveau circuit de vente qui rapproche la coopérative et la lie à ses clients, ou promouvoir un comportement social dans le monde qui entoure la coopérative et qui entraîne une plus grande interaction avec l'environnement, une plus grande demande et une signification sociale plus claire pour le produit que nous fabriquons. En bref, il s'agit de défis qui se rapportent et répondent directement aux besoins de la communauté de travail et de la communauté dans laquelle la coopérative est implantée.
- Le sujet naturel de ces défis est l'équipe de travail. Travailler par défi, c'est travailler par objectifs dans de petites communautés de travail avec une certaine intimité. Des équipes qui assument la responsabilité de répondre collectivement, par des solutions qui sont en elles-mêmes des défis, à des objectifs collectifs plus vastes.
- Toute organisation fondée sur la centralité du travail doit accorder une place centrale à la connaissance. La véritable innovation, celle qui permet un changement et une amélioration fondamentaux, implique généralement le développement de nouvelles connaissances. Le fait est que ces connaissances nécessaires ne peuvent pas être planifiées, elles sont simplement découvertes au cours du processus de résolution des problèmes et de franchissement des obstacles. Elles seront demandées par les équipes de travailleurs et la direction, le chef d'orchestre qui équilibre et fait correspondre les objectifs de chaque équipe, doit trouver les moyens de fournir les outils pour les obtenir : formation en dehors du temps de travail, échanges de membres entre les équipes, etc.
En fin de compte, la gestion par défi consiste simplement à maintenir le type d'incitations et de logique qui a mobilisé les efforts et stimulé le courage des travailleurs pour devenir une coopérative. Et avec eux, le bonheur de contribuer et la capacité de produire l'extraordinaire.